Mercredi 23 Octobre 2024

Captain Beefheart & His Magic Band - Trout Mask Replica


Il y a des disques qui sont des invitations au rêve, des fenêtres ouvertes vers un ailleurs apaisé. "Trout Mask Replica" n’est rien de tout cela. Cet album ne caresse pas l’auditeur, il le harcèle, l’attrape par le col et le projette dans un labyrinthe sonore où chaque recoin est une embuscade. Dissonances, rythmes fracturés, hurlements de saxophones, et au milieu de cette cacophonie contrôlée, Captain Beefheart, ce prêcheur poétique aux incantations rugueuses, semble naviguer sur un radeau bancal. Un radeau qu'il aurait lui-même construit à partir des débris de son propre psychisme éclaté.

C’est un chaos, oui. Un chaos calculé. On imagine Beefheart orchestrer cette tempête avec un sourire sardonique, bien conscient du tour de force qu’il est en train de produire. Il ne veut pas simplement être entendu, il veut être ressenti, et pour cela, il prend des risques que peu d’artistes ont osé avant lui. Le blues se fait art brut, dépouillé de toute sensualité familière. Les morceaux se heurtent, se disloquent, et dans cet affrontement constant, quelque chose de viscéral surgit. Une vérité crue, sans filtre, qui laisse l’auditeur déconcerté, exaspéré, mais surtout fasciné.

Ce n’est pas un disque à aimer. C’est un disque à survivre. En 1969, quand l'Amérique se gavait encore de rêves hippies, Beefheart a envoyé une grenade sonore en pleine face d’une culture musicale qui ne savait plus où elle allait. Et c’est peut-être là son véritable coup de maître : avoir su créer un album qui, des décennies plus tard, ne cesse d’échapper à toute tentative de définition. Un chaos pur, mais un chaos que l’on contemple comme une œuvre d’art brut.





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